Thursday, May 25, 2017

Grèce, 02/07/2015

Bonjour à tous,
D’abord, sachez que j’envoie cette petite revue de presse sur la Grèce , à tous depuis plusieurs semaines déjà (depuis mars en fait) et que j’ai l’impression que beaucoup ne le recevaient plus à cause de problèmes techniques d’envoi. J’ai donc fractionné les listes d’adresses, ce qui expliquerait la reprise d’une réception plus complète depuis deux jours. Je suis désolé car plusieurs dizaines d’envois ne vous  sont peut-être jamais arrivés. Si vous souhaitez que je vous renvoie quelques uns des meilleurs numéros précédents, faites-le moi savoir.
Plusieurs d’entre ceux à qui j’envoie cette épisodique petite revue de presse m’ont demandé ce que moi-même, finalement, je pensais de la situation. Alors j’ai fait ce petit exercice de synthèse , basé entr’autres sur tout ce que j’ai déjà pu vous envoyer.
Bien à tous
Marc Molitor

Je relève d’abord que beaucoup d’analystes sont d’accord sur les maux « historiques » de la Grèce : les insuffisances notoires de son état et son administration, le clientélisme des deux grands partis historiques (conservateurs et Pasok, aujourd’hui minoritaires) , l’émergence seulement récente de la démocratie « standard européen »  dans ce pays (cfr guerre civile et dictature des colonels) .
Je relève aussi que ces maux n’ont pas été résolus ou suffisamment résolus (parce que, quoiqu’on en dise, le pays a quand même vécu une vaste modernisation ces 30 dernières années), toujours sous l’exercice du pouvoir par les deux grandes tendances.
Pour beaucoup, l’entrée dans l’euro a été une erreur et a desservi l’économie grecque plutôt que l’inverse. Un des effets a été que cette monnaie trop forte pour les produits grecs, les a pénalisés. Un autre effet a notamment été de permettre l’écoulement de crédits abondants très bon marché que les banques grecques et européennes ont offert sans vergogne et sans contrôle à une classe moyenne – supérieure.
Les conditions d’entrée dans l’euro, le fameux « trucage » des statistiques sont avérées, mais elles n’étaient pas ignorées de nombreux responsables européens, dans les états-membres comme à la Commission. Pourquoi n’ont-ils rien dit ?
Il n’est pas impossible de vivre hors de l’eurozone, comme le montrent plusieurs pays comme la Suède, la grande Bretagne, etc…
Beaucoup d’analystes relèvent aussi que les plans d’ajustement imposés à la Grèce depuis 2010 sont un échec clair et net, ils n’ont pas résolus les maux qu’ils prétendaient combattre et ont débouché sur une catastrophe sociale et économique. Les analyses peuvent diverger sur l’importance de tel ou tel facteur. Par exemple la dette est telle qu’elle écrase toute possibilité de progrès.
Il me semble que les analyses de Paul De grauwe sont assez éclairantes à cet égard. Ce n’est pas le niveau de la dette comme tel qui est le problème unique, (les USA sont alors le pays le plus endetté du monde, et le japon aussi) ni le niveau des intérêts à payer (taux d’intérêt moyen sur la dette semblable pour la Grèce que pour d’autre pays européen) mais le rapport entre l’activité et le revenu du pays et ces deux premiers paramètres, le tout considéré ensemble. Si le pays se trouve , avec un taux d’intérêt moyen de la dette qui n’est pas en soi insupportable, mais avec une dette très élevée et une économie en récession catastrophique suite à des plans d’ajustement stupide, alors il s’enfonce encore plus.
Je remarque que le Ministre Varoufakis, tant décrié par les autres européens, avait dit cela tout de suite : nous n’avons pas besoin d’argent qui ne sert qu’à rembourser perpétuellement les échéances de nos créanciers sans retomber sur l’économie. C’est un fonctionnement de drogué,  disait-il. Il faut au contraire reporter, suspendre ou réduire une partie de la dette et des intérêts, et que tous les plans servent à revenir à un niveau d’activité normal, permettant ensuite d’honorer raisonnablement la dette avec une formule d’indexation des remboursements sur la croissance.
En tout cas il est temps de sortir de l’idée d’une « punition » pour la cigale grecque qui serait déloyale pour des fourmis nordiques. D’ailleurs, s’il y a une punition, elle a déjà été infligée ces 5 dernières  années, elle a été inefficace et en plus elle retombe sur les plus modestes, ceux qui ne peuvent pas tirer leurs billes du jeu. Au passage, il faut toujours rappeler, contrairement à ce qui reste un lieu commun éculé, qu’un état, contrairement à un ménage,  peut (et doit même) rester constamment endetté. L’état est le seul acteur économique qui, avec la dette, investit dans l’avenir, fait le pont entre le présent et le futur. Le problème peut être le niveau de la dette et de l’intérêt, rapporté à la capacité économique de cet état.
Venons-en maintenant au niveau politique. Et essayons de ne pas avoir la mémoire courte comme trop de medias aujourd’hui.
Lorsque, démonétisés par leur longue occupation du pouvoir et les catastrophes finales, Conservateurs de ND et Pasok s’apprêtaient à vivre des élections législatives aux perspectives calamiteuses face à la victoire annoncée de Syriza, il nous faut nous rappeler l’ingérence  massive des autres européens , allemands, français, commission et autres dans ces élections, faisant pression sur l’électeur pour qu’ils ne votent pas Syriza.
Vainqueur et arrivant au pouvoir, Syriza, parti récent , qui n’a jamais participé au gouvernement, ne peut être tenu comptable des errements de ses prédécesseurs. Rectifions aussi une inexactitude proférée malheureusement par de nombreux medias. Il n’est pas allié, pour sa majorité, à un petit parti d’extrême droite, mais  à un parti de droite « souverainiste ». Au contraire de la ND et du pasok qui ensemble, dans un gouvernement précédent, n’ont pas hésité eux à s’allier avec un parti d’extrême droite, le Laos
Dès le début, Tsipras a annoncé que si les résultats d’une nouvelle négociation sur un plan d’aide avec les créanciers s’écartaient trop de son programme, il soumettrait la question à la population. Les 18 peuvent-ils donc jouer la surprise aujourd’hui ?
Sur le scénario du dernier week-end et de cette semaine, il me semble que les 18 font preuve d’une belle hypocrisie et de manipulation. Le vendredi soir, Tsipras arrête la négociation parce que les dernières propositions des créanciers, inacceptables ou insuffisantes pour lui, sont présentées comme ultimes (revoyez tous les communiqués et les medias alors). Il annonce un référendum.
Que pouvait-il faire d’autres ? En l’état, soumettre le texte des créanciers au parlement grec aurait pu
-         Soit entraîner son rejet pur et simple, par son propre camp
-         Soit entraîner un déchirement de son propre camp et peut-être un oui au parlement avec la droite. Donc la chute du gouvernement.
Quel chef de gouvernement peut-il accepter cela ? Le recours au référendum était donc logique.
Après cela, le dimanche, Junker et d’autres affirment qu’ils avaient sous le coude encore d’autres éléments qui allaient être mis sur la table ! Que ne l’ont-ils fait le vendredi ou plus tôt ? La ficelle est un peu grosse. En outre
-         Les créanciers annoncent que leurs dernières propositions ne tiennent plus. Ce qui permet évidemment de se demander quelle sera la question posée au référendum ?
-         les banques sont fermées. = pression, danger de panique, etc…
-         Tsipras relance une dernière fois ses propositions en demandant que la dette soit sur la table. Fin de non recevoir.
-         Les créanciers, Junker et autres essayent d’intervenir dans la campagne en menaçant « le non = sortie de l’euro = sortie de l’union ». Double sophisme, même si la première séquence n’est pas impossible.
Voilà où on en est.
Pour un éventuel « Grexit » , le problème, c’est qu’il est plus compliqué de sortir de l’euro que de ne pas y entrer. Car l’effet pour la Grèce, à la fois de l’euro et des plans d’ajustement, a été la destruction d’une partie de sa base productive, déjà assez limitée. Donc, comme plusieurs économistes l’ont relevé, le retour à une drachme dévaluée ne garantit pas, automatiquement en tout cas, un rebond de l’activité en Grèce.
Mais le Grexit n’est pas inéluctable non plus. En ce sens, Tsipras table logiquement (dernière cartouche ?) sur une victoire claire du non pour avoir des armes plus fortes dans une nouvelle discussion. En tablant sur le fait que cette fois il n’y aura plus, comme le disait l’eurodéputé Philippe Lamberts, l’addition des deux inflexibilités du FMI et des Etats-membres, mais plutôt addition des deux aspects pour lesquels ils étaient un peu plus ouverts : une renégociation de la dette (pour le FMI)  et des mesures moins récessives pour la commission (et les Etats membres ? Ce sera plus compliqué pour certains). De ce point de vue, il faut espérer pour lui qu’il ait raison parce qu’il a peu de soutien parmi les autres états-membres et donc guère de rapport de force en sa faveur. Et peu de perspectives de changement de tendance dans les EM sauf peut-être en Espagne, aux prochaines législatives mais c’est à l’automne prochain.  Il est tout de même assez isolé.
En tout cas, s’il réussit et obtient de meilleurs résultats de négociations, il faudra, comme le dit Roland Gillet, qu’il donne des gages pour qu’il s’engage résolument dans la construction d’une administration performante, notamment fiscale, et que, pour cela, il joue la coopération avec des experts étrangers.
Je rappelle aussi tout le travail d’audit de la dette grecque mené au parlement, dont il faudra tenir compte car il a mis au jours bien des curiosités et des irrégularités dont certains créanciers étrangers pourraient aussi  être comptables .
C’est vrai que Tsipras fait un pari risqué. Mais la situation de beaucoup de grecs est telle qu’il ne peut faire autrement.
A nouveau, comme en 2005 en France ou même en Irlande, lors des référendums sur le traité constitutionnel, de nombreux medias traitent pratiquement Tsipras et ses partisans d’imbéciles, de tricheurs, de pyromanes ou de criminels. On sait ce qu’il en est advenu.
Les manipulations diverses qui génèrent la peur,  font qu’aujourd’hui en Grèce, c’est vrai, des familles et des amis se déchirent. C’est dommage. Mais les antagonismes existaient déjà. Ils sont exacerbés par les peurs.
De toute façon, l’union européenne ne sort pas grandie de tout cela.
Marc MOLITOR

PS : je vous joins un article de Jean-François Kahn , paru aujourd’hui dans Marianne, auquel je souscris entièrement.

No comments:

Post a Comment