Bonjour à tous,
D’abord,
sachez que j’envoie cette petite revue de presse sur la Grèce , à tous
depuis plusieurs semaines déjà (depuis mars en fait)
et que j’ai l’impression que beaucoup ne le recevaient plus à cause de
problèmes techniques d’envoi. J’ai donc fractionné les listes
d’adresses, ce qui expliquerait la reprise d’une réception plus complète
depuis deux jours. Je suis désolé car plusieurs dizaines
d’envois ne vous sont peut-être jamais arrivés. Si vous souhaitez que
je vous renvoie quelques uns des meilleurs numéros précédents, faites-le
moi savoir.
Plusieurs
d’entre ceux à qui j’envoie cette épisodique petite revue de presse
m’ont demandé ce que moi-même, finalement, je pensais
de la situation. Alors j’ai fait ce petit exercice de synthèse , basé
entr’autres sur tout ce que j’ai déjà pu vous envoyer.
Bien à tous
Marc Molitor
Je
relève d’abord que beaucoup d’analystes sont d’accord sur les maux
« historiques » de la Grèce : les insuffisances notoires de son état
et son administration, le clientélisme des deux grands partis
historiques (conservateurs et Pasok, aujourd’hui minoritaires) ,
l’émergence seulement récente de la démocratie « standard européen »
dans ce pays (cfr guerre civile et dictature des colonels)
.
Je
relève aussi que ces maux n’ont pas été résolus ou suffisamment résolus
(parce que, quoiqu’on en dise, le pays a quand même vécu une vaste
modernisation ces 30 dernières années), toujours sous l’exercice du
pouvoir par les deux grandes tendances.
Pour
beaucoup, l’entrée dans l’euro a été une erreur et a desservi
l’économie grecque plutôt que l’inverse. Un des effets a été que cette
monnaie trop forte pour les produits grecs, les a pénalisés. Un autre
effet a notamment été de permettre l’écoulement de crédits abondants
très bon marché que les banques grecques et européennes ont offert sans
vergogne et sans contrôle à une classe moyenne
– supérieure.
Les
conditions d’entrée dans l’euro, le fameux « trucage » des statistiques
sont avérées, mais elles n’étaient pas ignorées de nombreux
responsables
européens, dans les états-membres comme à la Commission. Pourquoi
n’ont-ils rien dit ?
Il n’est pas impossible de vivre hors de l’eurozone, comme le montrent plusieurs pays comme la Suède, la grande Bretagne, etc…
Beaucoup
d’analystes relèvent aussi que les plans d’ajustement imposés à la
Grèce depuis 2010 sont un échec clair et net, ils n’ont pas résolus
les maux qu’ils prétendaient combattre et ont débouché sur une
catastrophe sociale et économique. Les analyses peuvent diverger sur
l’importance de tel ou tel facteur. Par exemple la dette est telle
qu’elle écrase toute possibilité de progrès.
Il
me semble que les analyses de Paul De grauwe sont assez éclairantes à
cet égard. Ce n’est pas le niveau de la dette comme tel qui est le
problème unique, (les USA sont alors le pays le plus endetté du monde,
et le japon aussi) ni le niveau des intérêts à payer (taux d’intérêt
moyen sur la dette semblable pour la Grèce que pour d’autre pays
européen) mais le rapport entre l’activité et le revenu
du pays et ces deux premiers paramètres, le tout considéré ensemble. Si
le pays se trouve , avec un taux d’intérêt moyen de la dette qui n’est
pas en soi insupportable, mais avec une dette très élevée et une
économie en récession catastrophique suite à des
plans d’ajustement stupide, alors il s’enfonce encore plus.
Je
remarque que le Ministre Varoufakis, tant décrié par les autres
européens, avait dit cela tout de suite : nous n’avons pas besoin
d’argent
qui ne sert qu’à rembourser perpétuellement les échéances de nos
créanciers sans retomber sur l’économie. C’est un fonctionnement de
drogué, disait-il. Il faut au contraire reporter, suspendre ou réduire
une partie de la dette et des intérêts, et que tous
les plans servent à revenir à un niveau d’activité normal, permettant
ensuite d’honorer raisonnablement la dette avec une formule d’indexation
des remboursements sur la croissance.
En
tout cas il est temps de sortir de l’idée d’une « punition » pour la
cigale grecque qui serait déloyale pour des fourmis nordiques.
D’ailleurs,
s’il y a une punition, elle a déjà été infligée ces 5 dernières
années, elle a été inefficace et en plus elle retombe sur les plus
modestes, ceux qui ne peuvent pas tirer leurs billes du jeu. Au passage,
il faut toujours rappeler, contrairement à ce qui reste
un lieu commun éculé, qu’un état, contrairement à un ménage, peut (et
doit même) rester constamment endetté. L’état est le seul acteur
économique qui, avec la dette, investit dans l’avenir, fait le pont
entre le présent et le futur. Le problème peut être
le niveau de la dette et de l’intérêt, rapporté à la capacité
économique de cet état.
Venons-en maintenant au niveau politique. Et essayons de ne pas avoir la mémoire courte comme trop de medias aujourd’hui.
Lorsque,
démonétisés par leur longue occupation du pouvoir et les catastrophes
finales, Conservateurs de ND et Pasok s’apprêtaient à vivre
des élections législatives aux perspectives calamiteuses face à la
victoire annoncée de Syriza, il nous faut nous rappeler l’ingérence
massive des autres européens , allemands, français, commission et autres
dans ces élections, faisant pression sur l’électeur
pour qu’ils ne votent pas Syriza.
Vainqueur
et arrivant au pouvoir, Syriza, parti récent , qui n’a jamais participé
au gouvernement, ne peut être tenu comptable des errements
de ses prédécesseurs. Rectifions aussi une inexactitude proférée
malheureusement par de nombreux medias. Il n’est pas allié, pour sa
majorité, à un petit parti d’extrême droite, mais à un parti de droite
« souverainiste ». Au contraire de la ND et du pasok
qui ensemble, dans un gouvernement précédent, n’ont pas hésité eux à
s’allier avec un parti d’extrême droite, le Laos
Dès
le début, Tsipras a annoncé que si les résultats d’une nouvelle
négociation sur un plan d’aide avec les créanciers s’écartaient trop de
son programme, il soumettrait la question à la population. Les 18
peuvent-ils donc jouer la surprise aujourd’hui ?
Sur
le scénario du dernier week-end et de cette semaine, il me semble que
les 18 font preuve d’une belle hypocrisie et de manipulation. Le
vendredi soir, Tsipras arrête la négociation parce que les dernières
propositions des créanciers, inacceptables ou insuffisantes pour lui,
sont présentées comme ultimes (revoyez tous les communiqués et les
medias alors). Il annonce un référendum.
Que pouvait-il faire d’autres ? En l’état, soumettre le texte des créanciers au parlement grec aurait pu
-
Soit entraîner son rejet pur et simple, par son propre camp
-
Soit entraîner un déchirement de son propre camp et peut-être un oui au parlement avec la droite. Donc la chute du gouvernement.
Quel chef de gouvernement peut-il accepter cela ? Le recours au référendum était donc logique.
Après
cela, le dimanche, Junker et d’autres affirment qu’ils avaient sous le
coude encore d’autres éléments qui allaient être mis sur la table !
Que ne l’ont-ils fait le vendredi ou plus tôt ? La ficelle est un peu
grosse. En outre
-
Les
créanciers annoncent que leurs dernières propositions ne tiennent plus.
Ce qui permet évidemment de se demander quelle sera la question
posée au référendum ?
-
les banques sont fermées. = pression, danger de panique, etc…
-
Tsipras relance une dernière fois ses propositions en demandant que la dette soit sur la table. Fin de non recevoir.
-
Les
créanciers, Junker et autres essayent d’intervenir dans la campagne en
menaçant « le non = sortie de l’euro = sortie de l’union ». Double
sophisme, même si la première séquence n’est pas impossible.
Voilà où on en est.
Pour
un éventuel « Grexit » , le problème, c’est qu’il est plus compliqué de
sortir de l’euro que de ne pas y entrer. Car l’effet pour la
Grèce, à la fois de l’euro et des plans d’ajustement, a été la
destruction d’une partie de sa base productive, déjà assez limitée.
Donc, comme plusieurs économistes l’ont relevé, le retour à une drachme
dévaluée ne garantit pas, automatiquement en tout cas,
un rebond de l’activité en Grèce.
Mais
le Grexit n’est pas inéluctable non plus. En ce sens, Tsipras table
logiquement (dernière cartouche ?) sur une victoire claire du non
pour avoir des armes plus fortes dans une nouvelle discussion. En
tablant sur le fait que cette fois il n’y aura plus, comme le disait
l’eurodéputé Philippe Lamberts, l’addition des deux inflexibilités du
FMI et des Etats-membres, mais plutôt addition des
deux aspects pour lesquels ils étaient un peu plus ouverts : une
renégociation de la dette (pour le FMI) et des mesures moins récessives
pour la commission (et les Etats membres ? Ce sera plus compliqué pour
certains). De ce point de vue, il faut espérer
pour lui qu’il ait raison parce qu’il a peu de soutien parmi les autres
états-membres et donc guère de rapport de force en sa faveur. Et peu de
perspectives de changement de tendance dans les EM sauf peut-être en
Espagne, aux prochaines législatives mais c’est
à l’automne prochain. Il est tout de même assez isolé.
En
tout cas, s’il réussit et obtient de meilleurs résultats de
négociations, il faudra, comme le dit Roland Gillet, qu’il donne des
gages
pour qu’il s’engage résolument dans la construction d’une
administration performante, notamment fiscale, et que, pour cela, il
joue la coopération avec des experts étrangers.
Je
rappelle aussi tout le travail d’audit de la dette grecque mené au
parlement, dont il faudra tenir compte car il a mis au jours bien des
curiosités et des irrégularités dont certains créanciers étrangers
pourraient aussi être comptables .
C’est vrai que Tsipras fait un pari risqué. Mais la situation de beaucoup de grecs est telle qu’il ne peut faire autrement.
A
nouveau, comme en 2005 en France ou même en Irlande, lors des
référendums sur le traité constitutionnel, de nombreux medias traitent
pratiquement
Tsipras et ses partisans d’imbéciles, de tricheurs, de pyromanes ou de
criminels. On sait ce qu’il en est advenu.
Les
manipulations diverses qui génèrent la peur, font qu’aujourd’hui en
Grèce, c’est vrai, des familles et des amis se déchirent. C’est dommage.
Mais les antagonismes existaient déjà. Ils sont exacerbés par les
peurs.
De toute façon, l’union européenne ne sort pas grandie de tout cela.
Marc MOLITOR
PS : je vous joins un article de Jean-François Kahn , paru aujourd’hui dans Marianne, auquel je souscris entièrement.
No comments:
Post a Comment